Les pénuries d’approvisionnement liées à la croissance économique, conjuguées à la fermeture d’un certain nombre d’usines en Chine du fait du Covid, ainsi que la guerre en Ukraine, entrainent non seulement une incertitude sur les délais de livraison, mais surtout une flambée des prix des matières premières qui peuvent conduire à un déséquilibre économique des relations d’affaires et donc, à terme, perturber le résultat d’exploitation d’une entreprise.
Le 27 mars 2022, la circulaire n°6338/SG présente aux préfets les recommandations en matière d’exécution des contrats issus de la commande publique et les conditions dans lesquelles ces contrats peuvent être modifiés en raison de la hausse des prix (application de la théorie de l’imprévision aux contrats administratifs avec versement d’une éventuelle indemnité, gel des pénalités contractuelles, insertion d’une clause de révision des prix, etc.).
Ce qui est important, c’est que le gouvernement rappelle que des difficultés analogues peuvent surgir dans les contrats de droit privé, objet du présent article, rappelant que l’article 1195 du Code civil prévoit une obligation de principe de tirer les conséquences du bouleversement de l’équilibre économique du contrat par une renégociation du contrat entre les parties ou par une modification ou une résiliation par le juge.
Qu’en est-il exactement ?
L’article 1195 du Code civil, entré en en application au 01/10/2016, rend l’imprévision applicable aux marchés privés dans les conditions suivantes :
« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».
Attention, l’article 1195 du Code civil n’est pas d’ordre public, c’est-à-dire que les parties peuvent contractuellement l’écarter…
Le Premier ministre a qualifié l’instabilité liée à l’envolée actuelle des prix de certaines matières premières de « circonstance exceptionnelle », de sorte que cette situation constitue un cas d’imprévision qui ouvre droit à la possible renégociation du contrat, amiablement entre les parties et, à défaut, par le juge.
L’entrepreneur n’est toutefois pas libéré de ses obligations et doit continuer à exécuter les prestations durant la renégociation.
Le contrat n’est donc pas suspendu pendant les pourparlers.
Que faut-il entendre par une exécution « excessivement onéreuse » ?
La circulaire du 27/03/2022 indique à titre d’exemple qu’une augmentation supérieure à 7% du coût d’exécution des prestations, liée à la hausse forte et imprévisible du prix du carburant, peut être de nature à bouleverser l’équilibre économique d’un contrat.
La jurisprudence a eu, pour l’heure, peu d’occasion de se prononcer sur la théorie de l’imprévision dans les marchés privés.
En cas d’échec des pourparlers, il ne faut donc pas hésiter à saisir le juge, étant rappelé que le marché à forfait est exclu de ce régime.
Il faut rappeler que le marché à forfait est celui dans lequel une prestation, ou un ensemble de prestations, est rémunérée par un prix forfaitaire et global, conformément à l’article 1793 du Code civil.
Dans un marché à forfait, la variation du prix des matières premières constitue un aléa du marché qui peut, selon le cas, être favorable ou défavorable au titulaire du marché et demeure à ses risques et périls, de sorte que le cocontractant supporte l’aléa de la variation du prix des matières premières du fait des circonstances économiques.
La méthodologie doit donc être la suivante pour renégocier un marché privé :
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Evaluer financièrement et en pourcentage les différents surcoûts qui pèsent sur le contrat du fait de l’augmentation exceptionnelle des prix, qu’il s’agisse de celui de l’énergie ou de celui des différentes matières premières indispensables à l’exécution du marché ;
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Entrer en pourparlers pour renégocier le contrat sur le fondement de l’article 1195 du Code civil si le montant des surcoûts dépasse certains pourcentages (entre 7 et 15% du montant total du contrat) ;
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En cas de refus ou d’échec, recourir à la procédure de médiation ou de conciliation si le contrat y fait référence ;
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En cas d’échec d’une médiation ou d’une conciliation, saisir au plus vite le juge pour adapter le contrat dans un sens plus équilibré.
N’hésitez donc pas à consulter vos conseils habituels pour vous assister durant cette période « particulière »…
Article écrit par Me Eric SEUTET paru dans l’édition de DIJON L’HEBDO du 5 mai 2022.