ou de la timide réforme de la prévention des difficultés des entreprises ! (1ère partie)

Le 1er juillet prochain entrera en vigueur l’ordonnance n° 2014-326 « portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives », présentée par madame la garde des Sceaux en Conseil des Ministres, étant précisé que cette ordonnance a été adoptée en vertu de la Loi du 2 janvier 2014, qui avait habilité le gouvernement à simplifier et à sécuriser la vie des entreprises en légiférant par ordonnance.

Alors que le nombre de défaillance d’entreprises atteint des chiffres record, le gouvernement a souhaité laisser son empreinte sur le terrain de la réforme du droit des entreprises en difficulté.

Nous présenterons, dans une première partie, les principales mesures intéressant la prévention des difficultés.

Un autre article viendra présenter la réforme du droit des entreprises en difficulté, c’est-à-dire les principales modifications touchant au traitement judiciaire des difficultés.

  1. L’extension du domaine d’application de la prévention.

Désormais, les personnes physiques exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sont également concernées par la prévention des difficultés.

Le Président du Tribunal de Grande Instance exerce les pouvoirs conférés au Président du Tribunal de commerce qui peut donc, désormais, désigner un mandataire ad’hoc ou un conciliateur, lorsqu’un professionnel libéral souhaite renégocier ses dettes avec ses créanciers.

  1. Quelques ajouts à la procédure de mandat ad’hoc et/ou conciliation.

Il est rappelé que le Président du Tribunal de commerce (et désormais du Tribunal de Grande Instance) peut désigner un mandataire ad’hoc pour lui confier toutes missions permettant d’éviter l’ouverture d’une procédure collective.

L’on sait que le mandataire ad’hoc peut également être désigné dans des situations plus spécifiques (conflit entre associés par exemple).

Désormais, cette décision de nomination d’un mandataire ad’hoc sera communiquée pour information aux commissaires aux comptes, ce qui sera de nature à les rassurer, et à éviter des droits d’alerte (parfois tardifs !), puisqu’il ne sert à rien d’informer le Président des difficultés prévisibles ou avérées d’une entreprise, lorsque celui-ci a, par ailleurs, été saisi de ces mêmes difficultés par l’entreprise elle-même !

La durée de la conciliation n’est pas modifiée (4 mois prorogeables à 5 mois) mais si une demande de constatation d’un accord ou d’homologation a été formée, avant l’expiration de cette durée, la mission du conciliateur et la procédure est alors prorogée jusqu’à la décision selon le cas, du Président du Tribunal ou du tribunal  lui-même.

Ce point est important.

En effet, auparavant une course de vitesse s’instaurait, puisque le mandataire ad’hoc et/ou conciliateur devait avoir entamé des pourparlers avec les créanciers de l’entreprise, trouvé un terrain d’entente, et élaborer, avec les Conseils de l’entreprise, un accord régularisé, dans le délai imparti, sans quoi, certains présidents de juridiction refusaient de constater l’accord, puisque la procédure de conciliation avait pris fin !

Désormais, lorsque les pourparlers ont abouti et qu’un protocole d’accord est en cours de signature, les délais seront prorogés.

Une autre modification concerne les pouvoirs du Président qui peut, désormais, se faire communiquer par les commissaires aux comptes, les experts comptables, les notaires, les membres et représentants du personnel, l’administration et organismes publics, les organismes de sécurité, les établissements de crédit, les sociétés de financement et autres, tous renseignements lui permettant d’apprécier la situation économique, financière, sociale et patrimoniale du chef d’entreprise, et ses perspectives de règlement.

Il peut également charger un expert d’établir un rapport sur la situation économique, financière, sociale et patrimoine du débiteur.

Les pouvoirs du Président sont donc étendus et son droit de communication forcée très largement élargi.

 

  1. Les délais de grâce imposés aux créanciers non partie à l’accord 

Parfois, certains créanciers refusent de participer à un accord, ou de se mettre tout simplement «autour de la table».

Désormais, au cours de la procédure, le débiteur mis en demeure ou poursuivi par un créancier, pourra demander au juge qui a ouvert la procédure de faire l’application des articles 1244-1 à 1244-3 du Code Civil.

Le Président statuera après avoir recueilli les observations du conciliateur et pourra subordonner la durée des mesures à la conclusion de l’accord global.

En d’autres termes,  le Président du tribunal pourra imposer un délai de paiement qui ne pourra excéder 2 ans au créancier récalcitrant ou un report de sa dette à 2 ans… mais il ne pourra pas imposer à ce créancier de consentir les mêmes délais ou les mêmes remises que celles des autres créanciers, puisqu’il faut rappeler que le processus de mandat ad’hoc ou de conciliation est un processus consensuel et non coercitif, contrairement à un redressement judiciaire ou le tribunal peut imposer des délais (jusqu’à 10 ans).

Attention, cette disposition ne concerne pas les créanciers publics (URSSAF, TVA, etc…) qui demeurent libres d’accorder ou non des délais…

Une autre modification concerne les pouvoirs du conciliateur,

Antérieurement, lorsque l’accord intervenait, le Président mettait fin à la mission du conciliateur.

Désormais, ce dernier pourra être nommé mandataire à l’exécution de l’accord, et veiller à sa bonne exécution.

En cas de difficulté, il devrait établir un rapport pour en référer au Président.

 

  1. La rémunération du conciliateur.

Cette rémunération est fixée, d’un commun accord, entre le mandataire judiciaire et l’entreprise.

Désormais, la rémunération, qui reste fixée par ordonnance du Président en fonction de ce qu’on convenu les parties, ne pourra pas être liée au montant des abandons de créances obtenus, mais faire l’objet d’un forfait «pour ouverture du dossier».

Le législateur condamne la mise en place d’honoraires basés sur un pourcentage lié au résultat des abandons de créances où les forfaits minimum.

 

 

  1. La protection des entreprises dans les procédures de prévention.

Est inséré une disposition qui répute non-écrite, toute clause qui modifierait les conditions d’exécution d’un contrat en cours ou diminuerait les droits ou aggraverait les obligations du débiteur du seul fait de la désignation d’un mandataire ad’hoc ou de l’ouverture d’une procédure de conciliation.

Il vise à rendre nul et de nul effet les clauses dans les contrats qui tenteraient de dissuader les entreprises de recourir aux procédures de prévention des difficultés, en mettant à leur charge les honoraires de Conseils auxquels le créancier devrait faire face, ou qui modifieraient les conditions d’exécution du contrat.

 

  1. L’extension du privilège de new-money.

Le privilège de new-money, permettant à un créancier de bénéficier d’un privilège spécial du seul fait de l’apport d’argent frais à une entreprise bénéficiant d’une procédure de prévention, est étendu aux apports de capitaux par les associés.

Les apports réalisés au cours de la négociation qui ont abouti à cet accord bénéficieront dans le cadre de l’accord de conciliation du privilège de new-money… tout comme les apports d’argent frais provenant de nouveaux prêts même s’ils se font de plus en plus rare !

L’ensemble de ces mesures vise à renforcer et à étendre les mesures de détection et de prévention des difficultés des entreprises.

Prévenir pour mieux guérir.

La véritable révolution demeure l’apport de la loi de sauvegarde (de 2005 !) qui a permis aux entreprises qui sont en état de cessation des paiements (depuis moins de 45 jours) de bénéficier d’une procédure de conciliation, c’est-à-dire d’un traitement confidentiel et amiable de leurs difficultés.

C’est là que demeure et que subsiste la réelle innovation, et l’ordonnance du 12 mars 2014 n’apporte, sur ce point, rien de nouveau.

Il eut été peut-être envisageable d’aller plus avant, et de faire intervenir l’AGS dans le financement des mesures de restructuration sociale des entreprises en difficulté.

En effet, le plus souvent, lorsque l’entreprise en difficulté est confrontée à la nécessité de mettre en œuvre des mesures de restructuration sociale, et notamment des licenciements, elle se trouve dans l’impossibilité de financer ceux-ci… de sorte qu’elle ne peut que solliciter l’ouverture d’un redressement judiciaire pour que l’AGS (Assurance Garantie des Salaires) prenne en charge l’avance des frais de licenciement.

Or, combien d’entreprises sont prises dans une spirale infernale.

Contraintes de solliciter l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire pour financer leur plan social, elles se trouvent dans l’impossibilité d’élaborer un plan de continuation du seul fait de l’impact fortement négatif de l’ouverture de la procédure collective sur leurs clients, leurs fournisseurs, et donc sur l’image de l’entreprise elle-même !

Or, dans un certain nombre de pays (l’Allemagne pour ne pas la citer), des mécanismes sont mis en place pour aider les entreprises dans leur restructuration sociale, pour leur permettre de rebondir.

Il vaut mieux que la collectivité finance quelques licenciements plutôt que la collectivité ait à sa charge la suppression de milliers d’emplois.

La courbe du chômage est là pour en témoigner.

Mais c’est là, un autre débat !

Rien ne dit que le nombre de défaillances d’entreprises (61 000 au cours de l’année 2013), soit freiné par cette bien timide réforme.

Nous étudierons, dans un prochain article, les modifications apportées au traitement judiciaire des difficultés en phase de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaire, même si tous les efforts et conseils de l’entreprise doivent se focaliser sur le traitement amiable et préventif des difficultés des entreprises.

Il faudra alors le répéter et le répéter et le répéter pour imprégner les esprits.