La protection des minoritaires : vaste sujet !

La société commerciale n’échappe pas à la règle démocratique qui veut qu’il y ait toujours un majoritaire… et donc un minoritaire !

Et comme au Parlement, c’est généralement le majoritaire qui impose sa volonté au minoritaire.

Pour autant, le minoritaire doit-il « tout encaisser » sans pouvoir faire valoir ses droits de minoritaire ?

Telle est la question posée.

Tout d’abord, il faut toujours un capitaine à bord.

Il n’est jamais bon de prévoir deux copilotes dans une voiture de course lancée à vive allure sur un parcours difficile.

Et c’est la même chose sur une mer déchainée, le capitaine doit pouvoir prendre rapidement des décisions et mener le bateau à bon port.

L’indécision est pire que tout.

Ce qui est important, c’est de prendre une décision… qu’elle soit bonne ou mauvaise !

Il faut donc éviter des statuts avec des associés égalitaires, tous deux nommés cogérants, dans une SARL par exemple.

En effet, en cas de mésentente, la situation est complément bloquée et cette mésentente peut conduire jusqu’à la ruine de la société.

Il faut également faire attention à éviter des systèmes dans lesquels les associés sont égalitaires… mais seul l’un d’entre eux est gérant.

Cette  situation est très ennuyeuse pour l’associé égalitaire qui n’est pas gérant et qui ne pourra jamais révoquer le gérant de la société, puisque ce dernier ne peut être révoqué qu’à la majorité.

Or, le système d’égalité entre les associés fait que la situation est complétement bloquée et que le gérant-associé égalitaire est finalement un gérant nommé et désigné à vie.

Si l’on exclut donc tout système égalitaire, il faut donc nécessairement qu’il y ait un actionnaire majoritaire qui détienne le contrôle et dirige la société… et donc un associé minoritaire.

L’un des systèmes de protection des intérêts des minoritaires est l’expertise de gestion en droit des sociétés.

Les associés ou les actionnaires qui estiment qu’une ou plusieurs opérations de gestion de la société sont entachées d’irrégularités peuvent, sous certaines conditions, solliciter une expertise de gestion sur ces opérations litigieuses.

Attention, pour que cette expertise dite « de minorité » puisse être exercée, encore faut-il que les associés ou actionnaires détiennent individuellement ou en se groupant au moins 10% du capital social pour la SARL, et au moins 5% du capital pour les SA et les SAS.

 

a/ Les conditions de détention au capital et l’expertise de gestion :   

L’article L.223-37 du Code de commerce, s’agissant des SARL, précise que l’expertise de gestion ne peut être demandée que par un ou plusieurs associés représentant au moins le dixième du capital social ; à défaut, l’expertise n’est pas ouverte.

En ce qui concerne les SA et les SAS, l’article L.225-231, alinéa 1 du Code de commerce prévoit que les expertises de gestion ne peuvent être demandées que par un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5% du capital social.

Pour remplir cette condition de détention, les associés peuvent se regrouper et exercer ainsi l’action.

 

b/ Les questions écrites, préalables à l’expertise de gestion :

Une expertise de gestion ne peut être demandée au juge qu’après l’accomplissement d’une formalité qui est substantielle et qui consiste à poser par écrit, au Président du Conseil d’Administration ou au Directoire pour les SA, des questions sur l’opération ou les opérations contestées.

L’article L.225-231 du Code de commerce précise ce dispositif et rappelle que la demande doit être appréciée au niveau de l’intérêt du groupe et que la réponse doit être communiquée aux commissaires aux comptes.

A défaut de réponse dans un délai d’un mois, ou à défaut de communication d’éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d’un ou plusieurs experts, chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.

Il faut relever que l’obligation de poser une question écrite, préalablement à une procédure d’expertise de gestion, n’est, en revanche, pas imposée pour les SARL, de sorte qu’une expertise peut très bien être ordonnée sans que le gérant n’ait été préalablement mis en demeure de répondre à des questions écrites préalables.

 

c/ L’objet de l’expertise de gestion :

La demande d’expertise de gestion doit porter sur des opérations déterminées.

Selon la jurisprudence de la Cour de Cassation, les opérations critiquées doivent être très clairement identifiées.

Ainsi, les tribunaux rejettent-ils fréquemment des demandes qui portent sur la gestion générale et globale de la société, voire sur la régularité et la sincérité des comptes sociaux.

Les demandes d’expertise de gestion ne peuvent donc porter que sur des opérations de gestion à proprement parler, et ces demandes ne sont pas recevables pour des opérations qui sont de la compétence, non pas des organes exécutifs de sociétés, mais de l’assemblée des associés ou des actionnaires.

Il faut donc toujours prendre soin de « cibler » sa question, qui peut porter sur toutes questions de gestion (la régularisation d’un contrat de prêt, le recrutement d’un salarié, l’arrêt d’un contrat de distribution, un projet d’investissement, etc.).

 

d/ L’expertise de gestion et l’expertise dite « in futurum » :

À côté de l’expertise de gestion, les minoritaires peuvent solliciter une expertise préventive, telle que règlementée par l’article L.145 du Code de procédure civile qui dispose que « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »

Ce texte est très important puisqu’il permet à des minoritaires qui ne pourraient pas demander une expertise de gestion car ils ne répondraient pas aux conditions de détention, de solliciter une expertise in futurum.

Enfin, la demande d’expertise de gestion et la demande de gestion in futurum peuvent également se cumuler, et la Cour de Cassation avait déjà précisé que l’expertise in futurum pouvait être, par exemple, utilisée par un associé d’une société holding pour solliciter des mesures d’instruction sur des opérations intervenues dans les filiales d’un groupe.

Pour conclure, cette expertise de gestion est donc très importante pour les minoritaires car elle leur permet de solliciter la désignation d’un expert judiciaire, qui va faire un rapport sur la conformité de ces opérations à l’intérêt social, et donc vérifier « la bonne gestion » de la société, étant précisé que le résultat de l’expertise de gestion peut alors conduire un associé soit, à engager la responsabilité des mandataires sociaux qui sont responsables de leur faute dans l’exercice du mandat social soit, parfois, à faire disparaitre le différend qui opposait des associés ou des actionnaires, par le fait que l’un d’entre eux va alors être amené à acquérir ou à céder ses participations à l’autre !

En effet, il peut arriver que les expertises de gestion soient des moyens détournés pour un minoritaire « d’inciter » l’actionnaire majoritaire à lui racheter sa participation, afin d’éviter qu’il se pose un certain nombre de questions sur la gestion de la société.

Cette procédure n’est pas sans risque puisque cette démarche peut être sanctionnée par des dommages et intérêts lorsqu’elle traduit un abus de droit de minoritaires, qui tentent alors plus de protéger leurs intérêts personnels que l’intérêt social à proprement parler…

Mais c’est parfois la seule manière pour le minoritaire de se faire entendre et de protéger ses intérêts légitimes…2514632